LES INVENTEURS

 

Arielle était ravie ce matin-là. Son ami Dimitri venait de lui annoncer qu’il l’emmenait mettre le flobart à l’eau. Son chien, Nwaro, qui ne la quittait pas d’une semelle l’était plus encore à l’idée des courses folles qui l’attendaient sur le sable de la baie de Wissant. La période touristique n’était pas commencée et les chiens étaient toujours admis sur les plages - encore presque désertes - au pied du Cap Gris-Nez.

 

Trompée par le doux soleil qui brillait à travers la fenêtre de sa chambre, la jeune fille s’était habillée de manière un peu trop légère pour la saison. Avec ses petites sandales en plastique, elle profitait pleinement des caresses glacées de la Mer du Nord ou de la Manche – elle n’était jamais sûre - qui n’en finissait pas d’avancer pour mieux reculer. Tenant d’une main son épuisette à poissons, portant l’autre en visière, elle contemplait l’horizon et les navires qui passaient au large pendant qu’à marée basse, son compagnon, juché sur son tracteur, reculait avec précaution la remorque pour la mise à l’eau du bateau. C’était une opération très délicate qu’il ne fallait pas pratiquer dans la précipitation. Heureusement, Dimitri, 16 ans, disposait de toutes les qualités requises : calme, intelligence et débrouillardise. Cela faisait des années qu’il partait pêcher avec son père en flobart, ce bateau de pêche traditionnel de la région du Boulonnais. Autrefois, il était mû à l'aviron et à la voile mais comme tous les autres depuis quelques décennies, celui de Dimitri était à moteur. Il l’utilisait pour ses loisirs maritimes tout au long de l’année: la pêche au filet pour capturer sole, carrelet ou morue, la pêche aux trémails ou « filets maillants », qui prennent aussi du hareng en hiver, à la ligne traînante pour le bar et le maquereau et enfin, avec un peu de chance et de patience, la pêche aux casiers pour attraper crabes et homards, mets de choix s’il en est. Dimitri était toujours particulièrement fier de ramener le produit de sa pêche, heureux de sa journée passée au grand air, peu importait que le soleil brille ou non. Petit, il se rêvait pirate sur un magnifique trois mats, que ce soit dans les Caraïbes ou ailleurs. Il aurait tant adoré trouver un trésor. Mais au 21ème siècle, « chasseur de trésor », cela ne faisait pas très sérieux sur un c.v.

 

Finalement, après quelques minutes d’efforts, voilà Arielle, Dimitri et le jeune Nwaro partis en mer à la recherche de poissons prêts à se faire prendre dans leurs filets.

Midi approchant, Dimitri remonta le filet pour la troisième fois de la matinée afin de voir si Poséidon avait enfin décidé d’être généreux en leur faisant don de quelques habitants de son royaume. Aucun poisson ne s’y trouvait mais à la place, une chose à laquelle ils ne s’attendaient pas : une vieille bouteille en verre fumé, couverte d’algues verdâtres et puantes. Déçu d’avoir pêché cette drôle de poiscaille immangeable, Dimitri s’apprêtait à la rejeter aussi sec à la mer mais Arielle l’en empêcha. La curiosité était la plus forte. Et s’il y avait un message dedans ? Un appel à l’aide ? Une carte au trésor ? Dimitri sentit son cœur battre plus fort. Serait-ce possible ? Non, il ne fallait pas s’emballer. Ce genre de choses n’arrivait que dans les bouquins. Arielle avait beaucoup d’imagination et c’est ce qu’il appréciait d’habitude chez elle mais là…. Elle allait être déçue mais il fallait qu’elle voie par elle-même que cette vieille bouteille ne contenait sans doute rien d’intéressant. Il dégagea les algues collantes et vit qu’il n’y avait plus d’étiquette. La bouteille semblait assez vieille et pouvait vraisemblablement avoir contenu du rhum. Pour l’instant, elle sentait plutôt l’iode et la marée. Arielle trépignait d’impatience, ce qui fit aboyer Nwaro qui percevait l’excitation communicative de sa maîtresse. Enfin, Dimitri parvint à ôter le gros bouchon de liège ramolli et à en sortir un rouleau de papier jauni. Fébrile, Arielle le lui arracha presque des mains pour examiner au plus vite sa découverte. A première vue, il s’agissait d’une carte de la région marquée d’une croix sur la côte et accompagnée de cette sobre légende : « 21 avril 1709, l’Alcyon. Ici repose mon trésor, mon bien le plus précieux. Que Dieu le garde puisque je ne le puis ! V. B N 50° 47’ 17’ E 1° 36’ 40’»

A la fois excités et incrédules, Arielle et Dimitri se regardaient, bouches bée, sans savoir quoi dire, quoi penser. Cette histoire était incroyable et elle leur arrivait à eux.

 Dim, tu penses à ce que je pense ? On a trouvé une carte au trésor ? Et c’est quoi ces chiffres ? », questionna Arielle, en rafale.

-« Les chiffres, ce sont des coordonnées géographiques, latitude, longitude, tout ça. Et si je comprends bien, c’est tout près d’ici. Probablement à Wimereux. Mais un trésor…Franchement Arielle, ne me dis pas que tu y crois ? » modéra t-il, s’efforçant de rester calme tout en manœuvrant l’embarcation en direction de la plage. Il était à présent pressé de rentrer à terre pour étudier cette carte en détails.

 

Le lendemain matin à l’aube, les deux jeunes gens se retrouvèrent chez Arielle à Wissant. Ils avaient passé la soirée à tenter d’en apprendre un peu plus sur leur étonnante trouvaille, s’étant promis de garder le silence tant qu’ils n’en sauraient pas plus. Chacun de leur côté, ils avaient fait des recherches sur l’emplacement déterminé par les coordonnées géographiques, sur l’Alcyon et ce mystérieux V. B. qui avait signé la légende de la carte. Après quelques recherches sur Internet, Dimitri avait découvert que les coordonnées correspondaient en fait à l’emplacement actuel du terrain de golf de Wimereux et Arielle avait découvert que l’Alcyon était une frégate de 30 canons dirigée au 17ème siècle par le célèbre corsaire dunkerquois Jean Bart. Il semblait donc bien qu’ils fussent sur la piste d’un authentique trésor de corsaire. Quant aux initiales « V.B », elles restaient mystérieuses mais elles appartenaient sans doute à un des membres de l’équipage.

 

On était lundi en basse saison et peu de monde fréquentait le green à cette heure si matinale. Arielle et Dimitri décidèrent d’en profiter pour faire quelques repérages. A l’aide d’un GPS de randonnée emprunté au père de Dimitri, ils trouvèrent facilement l’endroit exact du trésor de l’Alcyon : en plein cœur du parcours n°18 ou plus exactement dans la mare prolongeant le ruisseau qui traverse le fairway. Comment faire pour creuser là-dedans discrètement ? Ils ne voyaient qu’une solution : attendre la nuit et s’équiper en conséquence.

Dimitri était bon nageur mais la nuit, avec le froid et surtout l’obscurité, il lui fallait au moins une tenue de plongée et une lampe frontale étanches. Une petite pelle aussi pour creuser pourrait s’avérer utile.

Ils mirent à profit le reste de la journée pour réfléchir à la meilleure tactique afin d’entrer dans le club de golf sans se faire repérer. La mare étant juste en face du Club House, quelqu’un pouvait les voir passer sous l’éclairage nocturne du parking et ils ne voulaient pas qu’on sache qu’ils étaient à la recherche d’un trésor. Du moins, pas tant qu’ils ne l’auraient pas trouvé et mis à l’abri. En effet, Arielle s’était renseignée sur la question et avait appris que si une personne trouvait un trésor - un « inventeur » - sur un terrain ne lui appartenant pas, autrement que par le seul effet du hasard, alors le trésor revenait en totalité au propriétaire du terrain, c'est-à-dire ici au propriétaire du golf de Wimereux, Monsieur Cipon. Et vu qu’ils étaient aidés par les indications d’un corsaire du 18ème siècle, on ne pouvait pas vraiment parler d’une découverte fortuite. Leurs recherches avaient donc tout intérêt à rester secrètes.

Le soir venu, prétextant une soirée cinéma en amoureux, Arielle et Dimitri se rendirent en scooter sur le terrain de golf, leur matériel de fouille bien planqué dans leurs sacs à dos. Dimitri avait préalablement revêtu sa tenue de plongée sous ses vêtements de ville pour ne pas avoir à se retrouver tout nu sur le green pendant une éventuelle giboulée d’avril. Brrrr….Rien qu’à l’idée, j’en frissonne.

Dimitri cacha d’abord son véhicule dans les buissons de l’avenue François Mitterand puis ils se mirent discrètement en route à pied, vers la mare au trésor.

Sur place, tout se déroula le mieux du monde. Dimitri se glissa silencieusement dans l’eau froide et noire, s’éclairant de sa lampe torche frontale. Pendant ce temps, Arielle montait la garde, anxieuse, essayant de se faire toute petite et s’interdisant de bouger plus que nécessaire pour ne pas se faire voir. A cette heure tardive, il n’y avait plus personne sur le parcours mais quelques joueurs prolongeaient leur moment de détente au bar du Club House en buvant un verre autour de la cheminée. Heureusement, le lundi, le restaurant n’était pas ouvert. « C’est déjà ça ! », se disait Arielle qui commençait à trouver le temps long. Mais que fichait Dimitri ? Elle le voyait bien remonter quelques fois à la surface pour jeter une poignée de balles de golf boueuses hors de la mare mais il ne disait rien sur le résultat de ses fouilles.

Cette attente était insupportable. Arielle n’avait jamais aimé patienter. Faire la file, que ce soit à la Poste, à la cantine du lycée ou à la messe le dimanche avec sa grand-mère pour recevoir une hostie sans goût, Arielle avait horreur de cela. Marcher au pas, coincée entre deux personnes l’avait toujours fait se sentir mal à l’aise. Ce qu’il lui fallait, c’était les grands espaces vides, des paysages à perte de vue, l’horizon à l’infini qui lui faisaient tant aimer les balades en mer avec Dimitri. Nwaro qui était resté sagement à la maison ce soir-là, partagerait certainement son avis. Ce jeune chien noir ne semblait jamais fatigué de courir sur la plage, ravi de faire s’envoler les mouettes et autres oiseaux marins qui se présentaient sur son chemin.

Arielle en était là dans ses divagations quand Dimitri surgit de la mare, visiblement content de lui. Il avait trouvé un long coffre en bois et en métal tout au fond de la mare. Il avait attaché une solide corde à l’une des poignées et demandait son aide à Arielle pour le tirer hors de l’eau. Ils ne furent pas trop de deux pour arriver à hisser le lourd coffre bicentenaire sur la berge. Arielle, dévorée de curiosité fut la plus prompte à chercher une ouverture qu’elle trouva sur le côté le plus large de la caisse en bois. Son contenu lui causa une surprise au moins aussi grande que sa déception. Dimitri, à ses côtés, une couverture sur ses épaules pour tenter de se réchauffer, fut également très étonné. Le trésor en question n’était autre qu’un squelette de femme portant encore une robe d’un bleu passé et tenant un crucifix en argent entre ses doigts croisés.

Ils repensèrent alors à la légende de la carte : « Ici repose mon trésor, mon bien le plus précieux. Que Dieu le garde puisque je ne le puis ! ». Le précieux trésor n’était pas fait d’or, d’argent ou de pierreries mais bien d’amour et de chair. Une belle leçon pour nos amoureux…