Une incroyable méprise

Bruxelles, fin août, une chaleur lourde pèse sur la ville avant l’orage. Un sexagénaire moustachu est en grande discussion téléphonique.

 

-« Alors nous sommes d’accord ? Vous venez demain dès 8h00 ? », demande Jean-Pierre.

 

-« Tout à fait, Monsieur ! Rassurez-vous, nous sommes des professionnels. Le déménagement se passera très bien. Parole de Français ! », dit le professionnel qui était français mais qui n’était pas Jean-Paul Belmondo pour autant !

 

-« C’est parfait alors. A demain ! »

 

Huit heures de sommeil plus tard, la sonnette de la porte d’entrée retentit et réveille Jean-Pierre d’un brutal sursaut. Son vieux réveil a – encore ! – oublié de sonner et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’était vraiment pas le bon jour pour ça.

 

Le temps pour lui d'émerger des doux bras de Morphée, la sonnette retentit à nouveau, plus longue, plus insistante.

 

-« Oui, oui, voilà…J’arrive ! Une minute ! », dit Jean-Pierre en enfilant vite fait son vieux peignoir en éponge orange, vestige de 1972, son année de mariage.

 

-« Vite, Pupuce, lève-toi et fais un grand thermos de café, s’il te plait. Les hommes sont déjà là pour le déménagement ! », déclare t-il à l’adresse de sa fidèle épouse, Hortense. Celle-ci s’empresse donc de descendre au rez-de-chaussée, non sans avoir été faire un petit pipi au préalable, rituel immuable de tous ses débuts de journée.

 

Dès son entrée dans la cuisine, Typhon, le chien adoré de sa « dadame » quitte son panier pour venir la saluer joyeusement. C’est l’heure de sa promenade et il se fait un devoir de le rappeler très clairement.

 

-« Du calme, Typhon. Sa dadame n’a pas le temps de sortir avec toi pour le moment. Tu vas devoir attendre un peu, mon grand. », annonce t-elle à regret au chien piaffeur.

 

En effet, à quelques mètres de là dans le corridor, le grand ballet des déménageurs a déjà commencé : des grands, des plus grands, des petits, des jeunots, des plus mûrs,… : il y en a pour tous les goûts. Ils sont une demi-douzaine à se déployer dans toute la maison pour emballer, sceller et emporter une bonne centaine de caisses en carton, démonter les meubles, empiler les chaises, faire une caresse au chien, boire un café à 10h00, emballer des caisses encore jusqu’au début de l’après-midi.

 

A ce moment, la maison bruxelloise est quasi vide et le camion est quasi plein. La vessie du pauvre chien que personne n’a eu le temps de sortir est pleine aussi !

 

-« Pfiouu ! Pas fâchée que ce soit terminé ! », soupire Hortense. La malheureuse est loin de s’imaginer ce qui l’attendait encore.

 

Tout bascule quand le chef des déménageurs demande à Jean-Pierre : « Dites, Monsieur, l’adresse de livraison, c’est bien au 2, rue de l’Eglise à Nîmes ? »

 

 Oui, oui, à Nîmes, c’est bien ça. », confirme Jean-Pierre. « Nous partons dans le Sud pour tenter de vivre une retraite paisible, au bon air. C’est un nouveau départ pour nous. Hein, ma chérie ? », dit-il encore en prenant amoureusement la main de sa femme, comme pour se rassurer.

 

-« Oui mais on y sera bien, tu verras. Prenez bien soin de nos affaires, Monsieur. C’est toute notre vie qui tient dans votre camion », ajoute Hortense, regardant le Français droit dans les yeux.

 

-« Ne vous faites pas de souci, Madame. Comme je l’ai dit à votre mari, nous sommes des professionnels et ce n’est pas quelques kilomètres qui vont nous faire peur. Même si Nîmes, ce n’est pas à côté. », rassure le déménageur.

 

-« Ce n’est pas le bout du monde, non plus. Enfin, quoiqu’il en soit, je vous souhaite une bonne route. On vous rejoint bientôt, le temps de faire faire sa promenade à Typhon et de dire au revoir à notre petite maison. », ajoute Hortense en serrant la main du malabar.

 

Peu de temps après, Jean-Pierre et Hortense tournent pour la dernière fois la clef de la porte d’entrée, la clef de leur vie passée ici, avec tous les bons ,et parfois moins bons, moments vécus ensemble. Dans deux heures, ils ouvriront, émus, pour la première fois la porte de leur nouvelle villa ardennaise.

 

Jean-Pierre se laisse aller à verser une petite larme tandis qu’Hortense se concentre sur l’installation de Typhon à l’arrière de la voiture. Il faut dire qu’il a toujours adoré les voyages et qu’il faut beaucoup de patience à ses maîtres pour le calmer au moment du départ.

 

Le cœur un peu serré, la sueur coulant sur leur peau moite, ils roulent vers leur destin et surtout vers Nîmes, vers le Sud…de la Belgique.

 

Pendant ce temps, l’énorme camion de déménagement roule lui aussi à bonne allure vers Nîmes, vers le Sud…de la France.

 

Vous voyez où je veux en venir ?

 

Eh oui, chers amis, une incroyable méprise a eu lieu dans cette histoire. Le saviez-vous ?

Il existe en effet deux villes de Nîmes, à exactement 853 kilomètres de distance l’une de l’autre. Elles s’écrivent exactement de la même façon, se prononcent de la même façon mais n’ont pas vraiment le même climat (quoique, si ça continue comme ça, dans quelques années, peut-être…). La ville de Nîmes en France est connue pour ses arènes, celle en Belgique est connue pour le « Fondry aux chiens », une grotte appréciée des spéléologues.

 

Voilà pour la petite note didactique.

 

Ce qu’il faut se dire c’est que dans cette histoire que Pierre Bellemare n’aurait sans doute pas reniée, Jean-Pierre et Hortense ont eu la désagréable surprise de trouver une maison vide à leur arrivée, sans déménageurs, sans camion et sans meubles. Après des heures d’attente vaines, ils décident de passer la nuit à l’hôtel le plus proche.

 

A près de 1000 kilomètres de là, les déménageurs qui arrivent seulement à destination, à Nîmes, en France, vivent la cruelle déception de leur erreur. Ils viennent de se rendre compte qu’ils ont fait toute cette route, et sous un soleil de plomb en plus, pour rien !

 

Ils décident aussitôt de faire le chemin inverse, en se relayant au volant toute la nuit pour rattraper au maximum leur retard.

 

Le lendemain matin, Hortense et Jean-Pierre les attendent de pied ferme  rue de l’Eglise et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’accueil est plutôt glacial. L’hôtel n’ayant plus que la suite nuptiale à leur proposer, cette dépense supplémentaire ne cadrait pas vraiment avec leur petit budget.

 

Pourtant, la température monte d’un cran quand on s’aperçoit que dans le transport deux « objets de valeur » se sont brisés. A savoir, le lustre en cristal héritée de la mère d’Hortense et la collection de disques de jazz expérimental de Jean-Pierre

 

-« Mais c’est une catastrophe ! Le beau lustre de Maman ! Bien sûr, toi ça t’arrange, Jean-Pierre, hein ? Tu ne l’as jamais aimé ce lustre de toutes façons ! »,dit-elle excédée.

 

-« Voyons, ma chérie. Tu exagères ! Et moi, qu’est-ce que je dois dire ? Toute ma collection détruite ! Des pièces uniques ! Je n’en retrouverai jamais des comme ça. Tu devrais être contente. Tu détestes le jazz ! », rétorque Jean-Pierre.

 

-« Heu…Excusez-moi, Monsieur, où est-ce qu’on dépose ce meuble-là ? », l’interrompt un des déménageurs.

 

C’est ainsi que tout le monde se remet au travail avec une hâte non feinte d’en finir au plus tôt.

 

Finalement, le couple ne regrette pas cette mésaventure. Ces objets brisés étaient la source de bien des disputes entre eux. Ils n’avaient jamais eu le courage de s’en débarrasser. Le destin s’en est chargé pour eux.

 

Ils vont enfin pouvoir vivre une retraite paisible.

 

-« Et si on allait à Nîmes, cette année pour les vacances ? Il parait que les vestiges romains y sont superbes»

 

 

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0