La lettre égarée

Les ennuis de Quentin Pigeon commencèrent un pluvieux matin de printemps lorsqu’il alla prendre le courrier dans la boîte aux lettres de l’immeuble.

 

Lui qui jusque-là vivait une parfaite petite vie de Français moyen allait connaître quelques péripéties dont il se souviendrait.

 

Parmi la paperasse habituelle, entre factures et publicités, il remarqua une lettre adressée à Valérie Van Pipperzeele, son ancienne voisine, belge, avec laquelle il s’entendait très bien.

 

Elle venait juste de déménager pour la Suisse, séduite par un citoyen helvétique qui partageait son amour immodéré du chocolat au lait et… des marmottes !

 

Tout s’était décidé très vite : dans la même semaine, elle avait quitté son boulot, rendu les clefs de l’appartement à Madame Pimbêche la propriétaire et bouclé ses valises, sans prévenir personne de son changement d’adresse. Personne sauf Quentin à qui elle avait abandonné ses plantes vertes et la clef de sa boîte aux lettres. « Au cas où », avait-elle dit, insouciante et euphorique à l’idée du départ tout proche pour sa nouvelle vie.

 

C’est ce mardi-là aussi qu’elle avait invité Quentin à venir passer quelques jours pendant les vacances de Pâques dans le chalet au bord du lac qu’elle partagerait désormais avec Helmut. Eh oui, c’était le prénom de l’heureux élu. Et c’était bien la seule chose qu’elle n’aimait pas en lui, d’ailleurs. Depuis des semaines, il n’y en avait que pour Helmut. Dès qu’ils se croisaient dans le couloir commun de l’immeuble, c’était « Helmut par-ci, Helmut par là, etc… ».

 

« Mais qu’est-ce qu’il a de plus que les autres, cet Helmut ? », se demandait Quentin qui, sans oser se l’avouer avait toujours eu un petit faible pour sa jolie voisine.

 

Or, les vacances commençaient dans deux jours. Quentin se dit que la lettre arriverait sûrement plus vite s’il l’apportait lui-même que s’il l’envoyait par la Poste. Il laissa donc la lettre en évidence sur son bureau pour y penser, et partit travailler.

 

Quand il rentra chez lui le soir, il s’aperçut tout de suite que la lettre pour Valérie n’était plus sur son bureau.

 

Premier moment de stress.

 

Puis il se rappela qu’on était jeudi et que c’était le jour de Carmela, la femme de ménage. Elle ne connaissait pas Valérie et avait dû jeter la lettre, croyant qu’il s’agissait d’une erreur. Pourvu qu’elle ne l’ait pas aussi déchirée…Il vérifia sa corbeille à papiers, fouilla, farfouilla et refarfouilla et finalement, il la retrouva, intacte.

 

Premier ouf !

 

 

 

Le lendemain, qui était aussi la veille du jour du départ, il décida que cette fois, il garderait la lettre sur lui. « C’est plus sûr ! », pensait-il.

 

Il mit donc la lettre dans son portefeuille qu’il mit dans sa veste et comme tous les jours, se rendit au boulot, en bus.

 

Il y avait beaucoup de monde dans le bus ce jour-là. L’air était lourd et humide ; on se serait déjà cru au mois d’août. Le chauffeur roulait très mal, Quentin faisait le trajet debout, accroché à une barre au-dessus de lui, essayant tant bien que mal de ne pas se faire écraser ni d’écraser lui-même les autres passagers. Inévitablement, il fut bousculé à plusieurs reprises.

 

Arrivé –enfin - à destination, il se dirigea comme d’habitude vers la petite aubette du coin de la rue pour acheter son journal favori, ainsi que le dernier exemplaire de « Blastov magazine » qui venait de sortir. Il voulut prendre son portefeuille dans sa veste et Horreur ! Il s’aperçut qu’il l’avait perdu. Et par la même occasion, la lettre pour Valérie qui était dedans !

 

Deuxième moment de stress.

 

Quentin entra dans son bureau, se précipita sur le téléphone et tenta de joindre le service des « objets trouvés » de la compagnie de bus. Une voix de femme enregistrée lui demanda de patienter car toutes les lignes étaient occupées. Mozart lui joua ensuite quelques notes de sa « Flûte enchantée » avant de passer le relais à Vivaldi et ses « Quatre saisons ». Quand ce fut à nouveau le tour de Mozart, Quentin faillit raccrocher, excédé. Cela faisait au moins 45 minutes qu’il patientait en vain !

 

Il passait déjà en revue toutes les formalités qu’il aurait à remplir s’il ne retrouvait pas son portefeuille : bloquer ses cartes à la banque, en commander de nouvelles, apprendre à retenir par cœur les codes secrets qui vont avec, demander une nouvelle carte d’identité à la Mairie, faire renouveler toutes les cartes de fidélité de ses magasins favoris, etc.…

 

Sans parler de la perte irréparable des photos souvenirs de lui à 3 ans qu’il montrait toujours pour attendrir les filles, de son chien Pilou qui le suivait partout à l’époque et qui raffolait du chocolat, comme Valérie d’ailleurs. « Ah Valérie ! » –soupir -

 

« Qu’est-ce qui m’a prit de prendre cette lettre avec moi ? J’aurais mieux fait de la laisser tranquillement à la maison. », pensa t-il, amer.

 

Au douzième passage de la voix enregistrée des « objets trouvés », la sonnerie de son téléphone portable Nakio dernier cri retentit « Tiloulouti Tiloulouti tilitiloulou… ». C’était le chauffeur du bus qu’il avait pris quelques 50 minutes plus tôt. Il avait achevé son service et avait trouvé le portefeuille de Quentin, sous un siège à l’arrière du bus.

 

-« Allo ? Monsieur Pigeon ? », dit une grosse voix gaillarde.

-« Oui, c’est moi. A qui ai-je l’honneur ? », interrogea Quentin.

-« C’est Charly, le chauffeur du bus 39, M’sieur. J’ai retrouvé vot’ portefeuille, quoi.

 Y avait vot’ numéro de portable dedans. Alors je m’suis permis de vous appeler, quoi. Vous voyez, quoi ! Y a encore tout dedans : vos cartes, vos photos et même votre argent, M’sieur, quoi. »

 

 

Oui merci mais…et l’enveloppe ? Vous avez l’enveloppe aussi ? », s’inquiéta Quentin.

-« L’enveloppe ? Oui, j’ai trouvé une enveloppe à côté, quoi. J’ai failli la jeter, vous avez de la chance, mon p’tit monsieur. J’savais pas que vous vous appeliez Valérie. C’est un pseudo ou quoi ? »

-Mais non, voyons ! Vous me prenez pour un de ces blastoviens qui envahissent la planète ou quoi ?  Dites-moi plutôt où je peux vous retrouver. ».

 

Deuxième ouf !

 

Quentin ayant récupéré ce qui lui appartenait, plus rien de remarquable ne se passa jusqu’au samedi matin, moment du départ pour la Suisse.

 

Notre Quentin n’avait pas bien dormi la nuit de vendredi à samedi : il avait rêvé que la lettre s’envolait par la fenêtre, puis qu’elle survolait villes, champs, forêts et rivières pour finir par atterrir dans le pré de deux vaches qui regardaient l’horaire des trains pour Paris. Il les a même entendu parler entre elles !

 

-« N’importe quoi ce rêve ! » s’était-il dit en se réveillant.

 

Se levant du pied gauche, il entrouvrit les tentures pour voir la couleur du ciel, et les referma tout aussitôt : c’était encore du gris ! Avec de la pluie en prime, par-dessus le marché !

 

-« Heureusement que je suis en congé pour profiter de ce merveilleux temps déprimant ! Je parie que lundi prochain au bureau, il fera grand soleil ! Il avait tout compris ce bon vieux Cloclo ! Le lundi au soleil, la, la, la, lala la, lala,… », entonna t-il pour s’encourager.

 

Quand il fut prêt, il appela un taxi pour le conduire à l’aéroport. Il avait hésité entre prendre le train, économique mais lent ou l’avion, cher mais rapide. Mais se rappelant son rêve de vaches parlantes qui prennent le train, il se dit que finalement, il avait sans doute bien fait de prendre l’avion.

 

-« Plus vite j’arrive, plus vite, je me débarrasse de cette maudite lettre », songea t-il.

 

Le taxi le déposa à l’heure devant l’entrée de l’aéroport.

 

Quentin lui paya la course et sortit de la voiture. Le chauffeur allait ouvrir le coffre pour lui donner ses bagages quand tout à coup, un gros taxi noir passa à fond de train devant lui, pile dans une énorme flaque de boue.

 

Conséquence : une énorme éclaboussure brun sale sur la veste beige du pauvre Quentin, sur son pantalon, sur sa chemise propre et fraîchement repassée, sur ses chaussures en nubuck clair qu’il n’avait pas encore imperméabilisées et même sur son sac à dos entrouvert.

 

Il venait justement d’y vérifier pour la énième fois si la lettre était toujours bien là. Elle y était. Mais trempée.

 

Troisième moment de stress.

 

 

-« Mais c’est pas vrai, ça ! Je le crois pas ! C’est qui l’imbécile dans le taxi ? », s’énerva Quentin (et on le comprend !)

 

Le taxi en question s’arrêta net, à quelques mètres de là. La portière côté trottoir s’ouvrit et devinez un peu qui en sortit ?

 

Valérie Van Pipperzeele ! Méconnaissable, les bras chargés de bagages et valises en tous genres, souriante comme la Vache qui rit en vacances !

 

-« Quentin ! Ah tu es là ! J’arrive de la gare, j’avais peur de te rater.», s’exclama t-elle.

 

Quentin, lui, ne comprenait plus rien. Que faisait-elle là ? Elle était sensé se gaver de tablettes de chocolat couchée sur une peau de bête devant la cheminée, Mumut le terrible lui glissant des mots doux quadrilingues à l’oreille.

 

Puis, il pensa à la lettre trempée et se dit que le mieux, c’était peut-être de ne pas lui en parler.

 

-« Valérie ? C’est toi ? Qu’est-ce que tu fais là ? », interrogea t-il, essayant de rester le plus naturel possible.

 

-« Ah Quentin, tu ne vas pas le croire. J’ai quitté Helmut. C’était moi ou Gudrün et il a choisi Gudrün ! », dit-elle toute exaltée.

 

« Gudrün ? Qui c’est, celle-là ? Je suis sûr qu’elle ne t’arrive pas à la cheville. », compatit Quentin.

 

-« C’est gentil de me dire ça mais justement, si : Gudrün, c’est son teckel !  Et tu sais comme je déteste les teckels ! Mais tu ne t’en souviens pas ? Je t’en parle dans la lettre que je t’ai envoyée. Tu ne l’as pas reçue ? J’avais mis mon nom dessus. Je me suis dit que curieux comme tu es, tu n’allais pas résister et tu allais l’ouvrir et la lire. », expliqua t-elle, étonnée.

 

-« Euh non, en fait, j’ai pas osé. Je te l’avais apportée d’ailleurs. Si tu savais tout ce qui m’est arrivé ces derniers jours » dit-il, atterré ! Lui qui a fait tant d’effort pour garder cette lettre et surtout, la garder en bon état n’avait en fait qu’à l’ouvrir et la lire ! Incroyable !

 

-« Eh bien, ça ne fait rien, on va la lire ensemble. Et puis, on pourrait rentrer ensemble. Tu crois que Madame Pimbêche a déjà reloué mon appart ? »

 

Dernier Ouf !

 

 

 

 

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