Le lapinellule

 

-« Ah s’il pouvait parler… Il nous en dirait des choses, ce bon vieux Fido ! », me dit toujours ma tante en parlant de son chien. Et moi de lui répondre :

-« Mais il n’a pas besoin de parler. Regarde ses yeux  comme ils sont expressifs. Regarde sa queue qui balance pour montrer sa joie ou ses babines qui se retroussent pour montrer sa colère. Fido ne parle pas et je trouve que c’est très bien comme ça ! »

 

Seulement voilà…Il existe un endroit où l’on n’est pas du tout d’accord avec moi.

Et pour cause. Je connais un endroit où toutes les créatures vivantes, de la plus imposante comme l’éléphant ou la baleine bleue à la plus minuscule comme le colibri ou la fourmi,

en passant bien sûr par des espèces plus proches de nous comme le chien ou le chat ont une particularité des plus étranges : ils parlent !

 

Mais que peuvent bien se raconter les éléphants ?

 

Des histoires d’éléphants, voyons ! Mais aussi parfois des histoires de souris... pour se faire peur à Halloween ! Ou encore des histoires de cigognes quand ils sont jeunes mariés et qu’ils rêvent de leur premier bébé.

Parfois ce sont des histoires de zoos ou de cirques pour les plus courageux.

 

Les autres préfèrent généralement parler de bains, de douches ou de recettes de cacahouètes.

Mais si certains animaux sont plus traditionnels et préfèrent rester entre eux pour parler, d’autres ont plus le goût de l’aventure. Ils s’en vont alors discuter avec toutes sortes d’autres animaux, principalement le long des points d’eau.

Ce sont en effet, les lieux de passage les plus fréquentés et les plus branchés de la Nature. Au fil de ces rencontres insolites se nouent des amitiés et parfois même, …des couples se forment.

Evidemment, je ne vous cache pas que ces mélanges que certains appellent « contre-nature » produisent des créatures étranges.

 

Dernièrement, une jeune louve s’est éprise d’un bélier qu’elle trouvait fort et téméraire. De leur union sont nés 3 petits « loutons », mammifères au pelage blanc  bouclé à tête de loup sur laquelle poussent 2 petites cornes en spirale et munis de 4 pattes musclées et griffues. Pas vraiment vilains mais pas très harmonieux non plus.

 

Une autre bizarrerie fut la naissance de la « giringe », mélange d’une girafe et d’un singe. L’animal se présente sous l’anatomie générale d’un primate avec un cou exagérément long, 

de grosses tâches brunes sur son poil beige et enfin, une petite queue rigide qui lui permet au mieux de chasser les mouches mais certainement pas de l’aider à grimper aux arbres.

Du fait, sa survie est menacée. Sans moyen de défense efficace, il est pratiquement condamné à disparaître.

 

Pourtant, il existe un exemple de mélange interespèce des plus réussis.

 

Il s’agit du « lapinellule »

 

Comme vous pouvez vous en douter, il est question du mariage insolite entre un lapin et une libellule. C’est même plus qu’insolite à priori : c’est quasi impossible !

 

Mais comme a dit je ne sais plus qui : « L’impossible recule devant celui qui avance. »

Et celui qui a avancé, c’est Firmin le lapin, un beau jour de juillet.

Il gambadait gaiement près de l’étang afin d’aller tailler une bavette avec sa copine P’tite Nouille la grenouille quand il l’a vue pour la première fois.

De blanc il est devenu rose comme le lapin Duracell tellement il avait chaud tout à coup de ressentir tant d’émotions. Il ouvrait et fermait bêtement la bouche comme Léon, Gaston et Gédéon, les poissons de l’étang et surtout, il était resté figé sur place comme le grand chêne au pied duquel il avait établi son terrier.

Bref, il était victime d’un coup de foudre aussi brutal qu’inattendu.

 

Jusqu’ici, contrairement à ses nombreux frères et sœurs, Justin le lapin était plutôt un solitaire et l’amour n’était pour lui qu’un mot comme les autres dans le dictionnaire, ni plus, ni moins important que sieste, nourriture ou jeu.

Mais quand ce jour-là, à 15h21 très exactement, il aperçut Gudule la libellule, il sut tout de suite que c’était elle !

Elle était si gracieuse, si fine. Ses ailes brillant au soleil comme des diamants, la rendaient irrésistible. Justin ne pouvait détacher sa vision latérale de lapin de la belle libellule volant

au-dessus des flots.

 

Au début, Gudule fut un peu effrayé par ce grand lapin bondissant qui la dévorait des yeux.

Mais devant la patience et la persévérance du rongeur, elle s’attendrit peu à peu et bientôt, on les vit folâtrer ensemble dans les prés herbeux,  aux abords de l’étang ou du terrier de Justin.

Un soir même, on raconte que Gudule n’est pas rentrée dormir sur son nénuphar.

Et ce qui devait arriver arriva, même si personne ne sut par quel enchantement  une libellule avait pu pondre autant d’œufs si gros.

 

Au printemps suivant, on vit naître une multitude de bébés lapinellules, aux corps de lapins, tous nus, aveugles et les ailes encore immobiles.

Très vite cependant, ils ouvrirent leurs yeux à facettes et se mirent à agiter fébrilement leurs doubles paires d’ailes transparentes pour se déplacer.

Ce n’est que quelques semaines plus tard qu’ils apprirent aussi à se servir de leurs pattes pour bondir sur le sol à la recherche d’insectes plus petits ou de luzerne savoureuse.

 

Les jeux des jeunes lapinellules sont très variés car ils peuvent avoir lieu aussi bien sur terre que dans l’eau ou bien sûr, dans les airs.

Je ne vous raconte pas la difficulté des parties de cache-cache chez ces animaux-là !

 

Très indépendants, les jeunes lapinellules quittèrent assez tôt le nid familial et creusèrent leurs propres terrier afin de passer l’hiver dans un confortable et réparateur sommeil de plusieurs mois.

Dès le retour des beaux jours, ils retournèrent s’installer à l’étang aux nénuphars afin d’assister à l’éclosion de la deuxième génération de lapinellule.

Car tout comme le lapins et la libellule, le lapinellule se reproduit vite et en très grand nombre !

C’est ainsi qu’en peu de temps, il devint l’animal le plus présent de la Nature.

 

Les autres animaux qui commençaient vraiment à trouver dangereux de fréquenter autant de lapinellules mirent au point un moyen redoutable de lutter contre cette invasion : les renassons,  fruits de l’union de Pilar le renard avec Gédéon le poisson. Ces grands amateurs de chair de lapins et de libellules les considérèrent donc comme la proie parfaite à leur tableau de chasse, ce qui permit de rééquilibrer l’écosystème.

 

Comme quoi, la Nature, même étrange, est bien faite. Tous y trouvèrent leur compte alors que voici la fin du mien…de conte.