La souris bleue

 

Ce soir-là,  Loïc est un petit garçon bien soucieux. Non seulement c’est le dernier jour des grandes vacances mais en plus, il vient de perdre une dent de devant.

 

“ - Maman,maman, ça fait tout bizarre. J’ai un trou dans la bouche, maintenant que la dent est partie !”.

 

-”Ce n’est rien, mon poussin, une autre dent va vite pousser.  Et puis tu sais, quand on perd une dent, il faut la mettre sous son oreiller le soir avant de dormir et le lendemain matin, la petite souris t’ apporte un cadeau.”

 

-”Comment elle est la petite souris, Maman ?”

 

-”Ho, eh bien, je crois qu’elle est bleue et qu’elle a des pouvoirs magiques avec lesquels elle récompense les enfants sages et punit les enfants méchants.”

 

Loïc est un peu surpris. Il trouve sa maman un peu naïve de croire que des choses pareilles puissent arriver.

 

Une souris bleue et qui fait de la magie en plus, il n’y croit pas !

 

Pourtant, comme c’est un petit garçon curieux, il met quand même la dent sous son oreiller et s’endort rapidement dans sa jolie chambre marine. Il n’a pas peur de la souris car il sait qu’il a été très sage, comme toujours. Et puis, Moby Dick et Monstro, ses petits poissons veilleront sur son sommeil depuis leur bel aquarium lumineux.

 

 Le lendemain matin,  le réveil de Loïc sonne avec fracas et fait sursauter le pauvre garçon dans son petit lit douillet.

 

Mais aujourd’hui, c’est la rentrée des classes et il n’a pas très envie de se lever. C’est pas toujours drôle de grandir.

 

“-Dépêche-toi, mon poussinou tu vas arriver en retard ! ”, lui crie Maman.

 

Loïc se lève lentement en prenant le temps de saluer tout le monde comme il se doit. D’abord Tchaouette la chatte, puis Piou-Piou son doudou tout doux et enfin ses poissons rouges Moby Dick et Monstro.

 

Encore un peu endormi, Loïc aperçoit soudain quelque chose qui remue sous la couette. Intrigué, il la soulève doucement pour voir ce qui s’y cache et découvre... ..une souris bleue !

 

-”Bonjour Loïc ! Bien dormi ? Pas trop, je parie. C’est normal, c’est toujours pareil le premier jour d’école.” dit-elle enjouée

 

Et en plus, elle parle !

 

Loïc est complètement abassourdi, il n’arrive pas à le croire. Il se dit qu’il doit encore être en train de rêver. Tchaouette l’a vue aussi mais bizarrement, elle ne cherche pas à l’attraper comme elle le fait d’habitude avec les autres souris.

 

C’est toi la souris magique ?” demande t-il timidement .

-”Absolument, mon garçon ! Ta maman t’avais prévenu , non ?” répond la souris.

-”Oui mais...Tu peux vraiment réaliser les voeux alors ?”, reprend Loïc, plein d’espoirs.

 

Bien sûr, c’est très facile. Que souhaites-tu ?”, répond la souris très sûre d’elle.

 

Comme il est un peu paresseux le matin, Loïc dit à la souris qu’il aimerait être déjà lavé et habillé pour faire plaisir à sa maman.

 

-”Yakademandéhécéfé !” formule la souris et hop, voilà notre Loïc propre comme un sou neuf et tout habillé.

 

Il est vraiment très content. Mais quand il veut remercier la souris, il voit qu’elle est en train de disparaître lentement. En lui faisant un clin d’oeil, elle lui dit :

 

-”A bientôt, sois bien sage !”.

 

Eberlué, Loïc descend prendre son petit déjeuner dans la cuisine. Il n’a pas très faim car il n’arrête pas de penser à la souris et surtout à cet horrible premier jour d’école. Maman, elle, remplit son cartable d‘une bonne collation et d‘un berlingot de jus de fruits.

 Elle tente de rassurer son petit garçon comme elle peut :

”-Voyons, mon poussin, ce n’est qu’une demi-journée d’école. Tu  verras, ça passera très vite. Si tu es bien sage, Maman te fera des crêpes comme goûter.”

 

Loïc ne bronche pas. Il adore les crêpes d’habitude mais aujourd’hui, il s’en moque bien. Il sent déjà des larmes lui piquer les yeux.

-”Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à me demander d’être sage aujourd’hui ?”, ronchonne t-il en fermant la tirette de son manteau.

 

Mais il ne voit pas que, cachée derrière le porte-parapluie, la souris bleue l’observe en silence. On dirait même qu’elle sourit, la souris.

 

Quelques minutes plus tard, Loïc est assis dehors sur le petit muret de son jardin. Il attend le bus le coeur lourd et la gorge serrée.

Tout à coup, le bruit d’un moteur ronronnant se fait entendre précèdant un gros véhicule jaune qui déboule dans la rue à toute allure. En un instant, toute l’inquiétude de Loïc s’évanouit. Vu de près, il est sympa ce bus et à présent, Loïc est plutôt content de monter à son bord. Il se dit même que cette première journée d’école va lui paraître beaucoup plus courte que prévu.

 

A l’arrêt suivant, Loïc voit monter Gaëtan et Paolo, ses deux meilleurs copains. Après deux mois de vacances, ils sont tout fous de se retrouver et s’inspectent de la tête aux pieds pour voir ce qui a changé.

 

Ils se racontent toutes les bonnes et mauvaises choses vécues pendant les vacances. Loïc, quant à lui,  se garde bien pour l’instant de leur parler de la visite de la souris bleue magique. Ils ne le croiraient pas de toutes façons, c’est certain !

 

A l’arrivée à l’école, tous les enfants sont très nerveux, certains rient, d’autres pleurent un peu, d’autres encore attendent en silence la suite des événements. Loïc, Gaëtan et Paolo sont de ceux-là. Malgré toutes leurs craintes, il sont très impatients de découvrir leur classe et leur nouvelle maîtresse.

 

“DILING! DILING ! DILING !” Et voilà, la cloche a sonné : c’est l’heure, plus moyen d’y échapper .

 

Loïc et ses copains ont quand même beaucoup moins peur maintenant qu’ils sont ensemble.

 

Ils suivent Mademoiselle Strenz la maîtresse au premier étage dans leur nouveau local. Celle-ci  invite les élèves à s’asseoir où ils veulent. Gaëtan et Paolo choisissent le même banc et le hasard fait que Loïc se retrouve - Ô horreur ! - à côté d’une fille. Lui qui les trouvait toujours si bizarres à l’école maternelle... La fillette en question a également l’air très gêné d’être à côté d’un garçon. En tous cas, elle ne dit pas un mot.

 

Quand la maîtresse fait l’appel des noms et demande à chaque enfant de venir se présenter, Loïc entend pour la première fois son nom et sa voix.  Elle s’appelle Eugénie Martin et elle est vraiment très timide. Elle trébuche avant d’arriver près de la maîtresse, devient rouge comme une tomate et parle si bas qu’on l’entend à peine.Toute la classe rigole de cette fille si maladroite. Sauf Loïc.

 

A la récréation de dix heures, une foule d’enfants hurlants et courants se précipite dans la cour.

Les nouveaux sont inspectés et questionnés par les plus curieux, les plus gourmands mangent leur collation, les plus sportifs jouent au ballon ou sautent à la corde et les plus bavards évoquent à tour de rôle leurs meilleurs souvenirs de vacances ou leurs premières impressions sur la classe.

 

 A la fin de la récré, les enfants doivent se mettre en rang pour rentrer en classe. Dernier de la file, Loïc remarque que Stéphanie, Natacha et Sylvia, trois filles de sa classe, s’amusent à tourmenter la pauvre Eugénie et à lui tirer les cheveux. Loïc est très fâché devant tant de méchanceté gratuite mais il n’ose pas intervenir. La maîtresse pourrait le punir et puis surtout, les autres en déduiraient tout de suite qu’il est amoureux.

Et ça serait vraiment trop pour un premier jour d’école !

 

Tout à coup, Loïc assiste seul à quelque chose d’incroyable : la même souris bleue qu’il avait vue ce matin apparait derrière les trois chipies et aussi vite que l’éclair, elle leur tire à chacune les cheveux d’un coup sec en arrière !

Puis elle disparait de la même façon, toujours en faisant un clin d’oeil complice à Loïc qui en reste bouche bée.

 

-”Qui a fait ça ? Qui a osé nous tirer les cheveux ?”, crie Natacha. Voyant Paolo et Gaëtan rire derrière elles, les trois chipies en concluent qu’ils sont responsables et se mettent à les frapper et à leur donner de vilains coups de pieds dans les jambes.

 

Malheureusement pour elles, Mademoiselle Strenz a tout vu et fonce vers les trois pestes, l’air furieux.

 

”-Et alors, là ! Qu’est-ce qui vous prend ? On ne peut pas faire ça ! Méchantes filles que vous êtes ! Vous serez punies ! ” Stéphanie, Natacha et Sylvia font vraiment peine à voir : elles pleurent à chaudes larmes leur humiliante réprimande publique.

 

De retour en classe, Loïc voit qu’Eugénie, sa petite voisine de banc a un drôle de petit sourire.

“-Tiens,” se dit-il, “est-ce qu’elle aussi aurait vu la souris bleue ?”. Décidément, que de mystères aujourd’hui !

 

-”Tout va bien ?” s’enquit Loïc auprès d’Eugénie. Elle lui fait “oui” de la tête . Loïc aimerait bien trouver autre chose à lui dire mais il ne sait pas quoi. Il a du mal à se concentrer sur ce que dit la maîtresse. Il est distrait par tout ce qui lui est arrivé et par Eugénie qui reste toujours tellement silencieuse.

 

Après l’école, dans le bus qui le ramène chez lui,  Loïc est perplexe. Il est à la fois heureux de revoir sa maman et malheureux de quitter déjà la douce Eugénie.

 

Assis à l’arrière, il l’observe discrètement (tandis qu’ elle est tout à l’avant du bus) un peu rêveur.

 

Malheureusement, les trois chipies, Natacha, Sylvia et Stéphanie sont à nouveau derrière elle en train de l’ennuyer.

 

“-Hé, Eugénie, tu sais que t’es grosse ?” lui lance la méchante Sylvia “-Et puis t’es moche aussi avec tous ces points bruns partout.”, dit la sournoise Natacha en parlant des tâches de rousseur. ”-Et t’es trop nulle avec tes vêtements de bébé !” ajoute la jalouse Stéphanie.

 

Loïc ne supporte vraiment plus ces filles. Il voudrait faire quelque chose pour aider Eugénie mais il est seul et elles sont trois.

 Elles n’hésiteront pas à le frapper comme elles l’ont fait ce matin avec Paolo et Gaëtan. Et Loïc, n’aime pas la violence, il n’aime pas les cris, il n’aime pas les coups car il trouve que ça fait presque autant de mal à celui qui les donne qu’à celui qui les reçoit.

 “-Ah si seulement je pouvais leur donner une bonne leçon...”, pense t-il

 

Tout à coup, la souris bleue refait son apparition et Loïc entend quelque chose qu’il est le seul à pouvoir comprendre  :

 

-”Yakademandehécéfé !”

 

Eugénie assise à l’avant du bus se met soudain à pousser un grand cri d’horreur :

 

”-Aaaaaaaaaaaaaah ! Un cochon ! Un cochon dans le bus !”, dit-elle complétement affolée en voyant Sylvia se transformer.

 

“-Hiiiiiiiiiiiiiiiiiii! Un singe, un sale singe poilu dans le bus !” dit-elle encore en voyant Natacha se transformer.

 

“-Aaaaaaaaaaaaah ! Un serpent, oh non pas ça ! “, dit-elle enfin en voyant Stéphanie se transformer à son tour

 

Monsieur Thérieur, le chauffeur du bus, freine en urgence : -”Mais...mais qu’est-ce qui se passe ici ? D’où sortent ces animaux ? Et où sont passées les trois fillettes qui étaient assises là ?”

En quelques instants, c’est la panique générale. Tous les enfants du bus se mettent à hurler et à grimper sur les sièges. Mais le cochon Sylvia, le singe Natacha et le serpent Stéphanie ont l’air encore plus terrifiés que les enfants.

Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. Ils sont recroquevillés dans un coin du bus, prêts à s’enfuir dès l’ouverture des portes.

 

Eugénie, elle, regarde Loïc avec inquiétude, ne sachant pas très bien si elle doit remercier la souris ou craindre d’être transformée à son tour en un animal quelconque. Il lui prend la main, la serre très fort et lui dit tout bas :

-”Chuuut ! Ce sera notre secret. Il ne faudra le dire à personne.” Eugénie sourit et pose un tendre bisou sur la joue de Loïc. A présent, c’est lui qui rougit jusqu’aux oreilles.

 

Loïc et Eugénie sont très heureux d’avoir été témoins des pouvoirs magiques de la souris bleue. En tous cas, une chose est sûre, la prochaine fois qu’ils perdront une dent, ils feront plus attention aux histoires que racontent les mamans.

Il faut bien l’admettre, une souris bleue qui parle et qui jette des sorts, c’est quand même inouï. Loïc et Eugénie se promettent de toujours garder le secret puisque de toutes façons, qui les croirait ?

 

Quant aux trois chipies, depuis leur fuite du bus on ne les a jamais revues.

 

Peut-être hantent-elles d’autres histoires...